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La rue Hoche ressemblait à cela.
(ici les allées Gambetta)
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Listes de victimes dans les journaux
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Ecole
maternelle rue Kléber(3e)
27 mai 1944 10 h du matin
Ce
samedi matin semble devoir être semblable aux autres matins
pour ce petit garçon de 5 ans et demi. Dans sa classe
de l'école maternelle de la rue Kléber,assis au
deuxième bureau de la deuxième rangée, il
regarde sa maîtresse, une grande dame brune au cheveux
montés comme cela se faisait à l'époque.
Elle tourne les pages du cahier d'appel.
Il ne sait pas qu'il est 9h56.
Soudain la sirène se déclanche. Hululement lugubre.
C'est une alerte aérienne. Il en a déjà
connu plusieurs Il ne comprend toujours pas pourquoi il faut
se lever, se mettre en rangs par deux et se rendre dans une cave
sombre et triste au bout de la rue Kléber. Mais à
5 ans et demi, on ne cherche pas à comprendre les choses:
on les subit comme étant normales puisqu'on n'a connu
que celles-là.
Devant
la porte de l'école, il voit la maman de son copain Bernard
qui vient chercher son fils, puisque la matinée est presque
finie. Ils les voit s'éloigner par la rue d'Amiens vers
le Lazaret où ils habitent. Ils ne savent ni les uns ni
les autres que l'enfant et sa mère ont choisi la voie
d'un destin tragique.

(Bernard mange sa tartine. Arrivé en retard je n'ai pas
encore la mienne)
La classe s'est
mise en rang,traverse la rue et marche vers l'abri officiel:
la cave de l'immeuble situé au coin de la rue Kléber
et de la place Strasbourg. C'est alors que le petit garçon
a la joie de voir arriver sa maman. L'alerte l'a libérée
de l'atelier où elle travaillait et elle a couru vers
l'école. Elle choisit d'aller se mettre à l'abri
avec les enfants .
Pour elle et lui, ce sera le bon choix. Nous sommes
le 27 mai 1944 à 10 h du matin.
Tout d'abord,
pour Petit Jean, tout semble se passer comme d'habitude: attente,
bavardage en attendant de rentrer chez soi .
Tiens! Cette jeune dame très gentille qui lui a souri
a un drôle de ventre pense-t-il. Fils unique, il n'a jamais
vu sa maman attendre un bébé. Décidément
cette attente est ennuyeuse. Quand est-ce qu'on va remonter au
jour se demande-t-il?
Mais lui, qui ne connaît pas encore l'heure, ne sait pas
que lorsque 10 h 50 arriveront, ce calme fera place à
l'enfer.
Soudain, terrifié, il entend les explosions assourdissantes,
les hurlements des femmes, les cris de terreur des enfants auxquels
se mêlent les siens. Les prières criées à
haute voix par les femmes dont sa mère: Jésus,
Marie... La lumière s'éteint . C'est le noir. Les
cris redoublent . Puis c'est un grand fracas, un nuage de poussière
qui pénètre dans la cave: L'immeuble d'en face
en s'effondrant vient de défoncer la porte du couloir
où se trouve l'abri. Et toujours les bruits des bombes.
Cela va durer... Il ne sait pas, mais c'est long, long, très
long. Il saura des années plus tard que le bombardement
n'aura duré que 10 mn A onze heures c'est fini. Du moins
pour ce qui est des bombes. Il en est tombé plus de 800
;larguées au hasard de 4000m d'altitude par des avions
américains. Pourquoi ce bombardement aveugle ? On ne le
saura jamais. On pense que c'était pour détruire
le port et les voies de chemin de fer pour protéger le
débarquement qui allait avoir lieu quelques jours plus
tard en Normandie et en août dans le Var à St-Tropez.
Aussitôt
les secours s'organisent. Les gestes de réconfort se multiplient
.Des hommes puisent dans les caves éventrées du
bar Napoléon, pour faire boire un peu d'alcool aux femmes
et aux enfants. Et il doit en falloir du courage quand on est
adulte et qu'on vit des moments pareils. Les enfants ne se rendent
pas compte. Ainsi en sortant à l'air libre, le petit Jean
voit à droite dans la rue Kléber, prés du
marché couvert, une voiture de pompiers renversée.
Au coin de la rue de Forbin et de l'avenue Camille Pelletan,
un entrepôt brûle. Les rues sont jonchées
de décombres. Mais il tient la main de sa maman et ne
doute pas une seconde que la vie normale va reprendre.
Mais
sa mère, que pense-t-elle ? Il comprendra plus tard ,
bien plus tard, qu'elle se demande si sa maison est encore debout,
si son mari est encore vivant, si elle possède encore
quelque chose: la peur, l'angoisse.
A mesure que la mère et l' enfant se rapprochent de la
rue Junot, les destructions augmentent. St Lazare a été
le quartier le plus touché avec la Belle de mai.
Rue de Versailles ils voient extrait des décombres,les
morts jetés sur la benne arrière d'un camion. La
rue Hoche est en ruines, la rue Junot semble touchée aussi.
Soudain, un petit sifflet
familier. Jean se retourne;son père est là . Il
est content de le voir, mais pas plus que d'ordinaire . Mais
pour sa mère, quelle joie, quel soulagement. Ils en parleront
plus tard quand, devenu adulte et papa à son tour, il
comprendra , mieux qu'avec des mots, ce qu'a pu être ressenti
par son père et sa mère à ce moment là.
Le plus dur est passé. La maison encore debout, la grand-mère
vivante, tout cela n'est plus pour lui, qu'une simple anecdote.
Mais jamais l'enfant de 5 ans et demi n'oubliera, les bruits,
les hurlements, la poussière, la peur.
Des années plus tard encore, il apprendra qu'une bombe
est tombée sur la maison dans laquelle se trouvait leur
abri. La moitié s'était écroulée:
ils étaient dans l'autre moitié. Ainsi va le destin.
Il ne reverra plus Bernard. Son petit copain et sa mère
ont été écrasés dans leur maison
détruite par une bombe.
Dans les jours
qui suivront, les enfants de cette époque inventeront
un drôle de jeu: Retrouver dans les ruines et les décombres,
des pierres tachées de sang .
Au fond
l'église des réformés.
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