Avoir 14 ans en 1952

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Sur le cours Belsunce de retour d' un match .

J'ai 13ans et demi.Je joue à l'Olympique de Marseille. Pour ce faire, il a suffit que je me présente en compagnie de mon copain Daniel,avec une autorisation parentale, un certificat médical,2 photos et 15 € en liquide. (10 000 francs de l'époque) Facile de rentrer à l'OM en ces années.Le Smic en ces temps là est de 25 000 francs par mois, soit moins de 40 €! La cotisation n'est donc pas anodine,mais je ne m'en rends pas compte et mes parents voulant me faire plaisir n'ont pas discuté ni se sont plaints!

Je joue dans l'équipe des minimes B.Avec moi deux ou trois joueurs qui deviendront plus tard des pros( Leonetti, Bruneton, Giovanelli). L'entraînement a lieu tous les jeudis après midi(jour de repos scolaire en ce temps là) sur le terrain de l'Huveaune aujourd'hui disparu, derrière le parc Borély.Pour s'y rendre il me faut d'abord marcher 15mn pour, prendre un premier tramway (un tram comme on dit),jusqu'au cours Belsunce ,puis marcher encore 15 mn pour aller à la Préfecture prendre le 2e tram,(le 19) qui me mènera jusqu'à David .Le stade de l'Huveaune n'est plus très loin,ouf!
Pas de voiture pour nous accompagner. Dans toute l'équipe deux enfants arrivent en auto seulement. Mr Slim l'entraîneur est sérieux et sévère. C'est à lui que je dois d'avoir su "taper" indifféremment des deux pieds. Il a la colère facile et gare à celui qui se laisse aller. C'est le repos en touche assuré. Je l'entends encore :" Cochon! Pourquoi t'as fait ça! Cochon recommence!" Un jour en lever de rideau de l'équipe réserve des pros, il nous avait sortis du terrain mon adversaire et moi parce que nous nous parlions pendant le match! Ah oui! Il ne plaisantait pas mais dans le fond, il nous aimait bien et nous aussi.

Mais bon, on est l'OM ou pas.On a un niveau à tenir, et on le tient. Toutes les équipes de jeunes, de nos jours, disposent de terrains ,de ballons, d'entraîneurs plus ou moins bénévoles.Mais en ce temps là,rares étaient les équipes bien nanties. L'OM était donc un club privilégié pour la jeunesse. L'argent n'y avait pas sa place,même dans les catégories élevées. (Un peu quand même au niveau de la réserve pro).

Les matches de championnat se jouaient rarement à l'Huveaune. La plupart du temps nous recevions les adversaires sur les terrains également disparus de la Pomme. Et c'est là que me vient une pensée reconnaissante pour ma mère.
Imaginez vous : elle travaillait toute la semaine de 8h à midi et de 14h à 18h dans un atelier comme chemisière. Le soir, elle apportait à la maison,du travail supplémentaire (des "commandes" comme elle les appelaient.)qu'elle faisait jusqu'à tard dans la nuit et souvent le samedi après midi et le dimanche.

Or voilà que son fils doit jouer le dimanche matin à 8h30 à la Pomme. Alors pas de grasse matinée ni même de réveil un peu plus tardif. Elle sera debout dès 6h30 pour me préparer le petit déjeuner avant de se mettre à sa machine.Brave maman! Comme j'aimerais pouvoir lui dire le merci que je n'ai jamais su lui dire.
Si de là bas elle me lit.... Merci maman.

Quant à moi, les matins d'hiver, il faisait encore nuit quand je commençais le périple dont je parlais plus haut pour me rendre au stade. Cette fois au lieu du 19, c'était le 12 que je prenais à la "Gare de l'Est " (Noailles). Comme Marcel pagnol, encore à moitié endormi, j'étais balloté , par les cahots que les zig-zags de la ligne imposaient au tram et à son chargement humain, jamais très important à cette heure matinale du dimanche matin.
Les terrains (on en comptait trois côte à côte)étaient en fait des près à vaches. A huit heures,ils étaient encore recouverts de gelée. Les orteils étaient douloureux dans les chaussures de foot. Mais à cet âge on ne regarde pas à si peu pour assouvir sa passion du foot-ball.Et c'est bien évidemment enthousiastes que nous rentrions sur le terrain pour notre match hebdomadaire d'où l'on ressortait rempli de joie ou de tristesse suivant le résultat final. (Je me souviens d'une crise de larmes à la suite d'un match nul avec le Gazélec, notre concurrent direct, simplement parce que j'avais manqué un but que d'après moi, j'aurais du réussir!)

Fin du match à 10h - Bien sûr pas de douche, ce sera pour la maison...Et retour avec le même trajet: 1h et demie de tram et une demi heure de marche à pieds pendant laquelle je jouais les badauds ,notamment en écoutant les camelots du Cours Belsunce.. mais tout cela me semblait normal (et l'était d'ailleurs).
Je voulais de l'effort physique, j'en avais. Je voulais de l'autonomie, j'en avais avec tous ces transports en commun à utiliser.Je découvrais ma ville je m'imprégnais de son ambiance, de ses couleurs, et de ses bruits.
Je garde de merveilleux souvenirs de tout ce temps d'apprentissage de la liberté, saine et active. Je n'avais pas besoin que l'on m'accompagne jusqu'à l'entrée du stade. Lequel stade n'avait pas de grillage pour s'opposer à la violence aveugle et imbécile dans laquelle baigne le foot de nos jours.
En conclusion j'ai eu de la chance de vivre cette époque bienveillante pour les jeunes. Nous apprenions à nous débrouiller sans crainte et sans violence. Nous savions que beaucoup de choses dépendaient de notre action et de nos efforts et que tout n'était pas facile dans la vie. Nous ne considérions pas que tout nous était du.
Je souhaite que mon petit fils ne s'intéresse jamais au foot ball.Il fera d'ailleurs , probablement du rugby.Mais on l'accompagnera et le ramènera en voiture de la maison au stade et du stade à la maison. Autre temps ....
Dommage pour la liberté ,la vraie.

 


Olympique de Marseille - Les minimes B -Saison 1952-53
(De gauche à droite et de haut en bas)
Mr Vitiello (Dirigeant) Jean Santelli -Pinatel Vitiello-Maria - Berton - Ferreri- Mr Slim (Entraîneur)
X-El Baz-Aucane -Lombardi - Barrielle