1954 ;15 ans et demi
.Ne riez pas sur cette demi année. Elle change souvent
tout. J'ai réussi au BEPC , 1er diplôme assez côté
à cette époque. En récompense mes parents
accèdent à mon souhait :je voudrais un vélo
. Louison Bobet est l'idole du moment dans le Tour de France qu'il
a remporté pour la 2e fois cette année.
Alors mon père et moi nous passons en revue toutes les
boutiques du Cours Lieutaud ,royaume des deux roues aujourd'hui
encore . Finalement c'est dans un petit magasin près de
la rue des bergers que nous fixons notre choix . Un beau vélo
Mercier de couleur bleue avec les fourches à moitié
chromées . Les freins C.L.B , double plateau, quatre pignons
huit vitesses ! un luxe ! Bien sûr, certains détails
ne font pas très " course ". Les pneus sont des
démontables (pas des boyaux) mais je préfère.
Les roues comportent des garde-boue et le vélo est doté
d'un système d'éclairage avant et arrière
fonctionnant à l'aide d une dynamo actionnée par
la roue avant .
Mais cet équipement est nécessaire du fait de la
règlementation d'abord mais aussi parce que je compte bien
m'en servir pour me rendre au collège quelle que soit l'heure..
Son prix montre que cet âge (15 ans) est sans pitié.
J'ai bien un soupçon de remord en pensant que mon père
débourse un mois de salaire pour son acquisition. Mon beau
vélo bleu coûte 26 000 francs. Le smic de l'époque.
Si on rapporte ce montant à aujourd'hui il y a de quoi
être affolé et je le suis en y pensant . 1400
!!
Mais le plaisir efface vite mes scrupules. Je vais pouvoir "
écumer " les rues et les routes des environs. Michel
et Milo avaient déjà le leur, Aimé et Fernand
ne tarderont pas eux aussi à s'équiper. Les Termes
et la Gineste nous verraient très souvent grimper ensemble.
En somme une monture: comme le cow-boy avait son cheval moi, j'ai
le mien .
Un après midi de septembre nous avons fait une balade qui
nous a conduits jusqu'à Salon. Partis vers 13h30 nous étions
de retour à 18h30 . Plus de 100km en 5 h en passant par
la Viste, le col de l'assassin (Pennes Mirbeau) et quelques grimpettes
en cours de route . Nous étions un peu fous mais quel bonheur
! Les voitures étaient rares , il faisait un soleil radieux
. La chaleur était très supportable en cette fin
d'été 55. Sans porter cas à nos vêtements
rudimentaires (chemises et jeans) nous avions même trouvé
le temps de boire un pot à la terrasse d'un café
et , (oh !! la honte!! ) de chaparder une grappe de raisins dans
une vigne rencontrée sur notre route .
Ce sera la seule grande sortie , car tout va très vite
à cette âge là. Michel prendra une licence
dans un club mais au bout de trois courses il renoncera n'étant
pas assez fou dans les descentes. Il grimpait bien mais descendre
à tombeau ouvert ce n'était pas son truc. Milo aura
bientôt sa Vespa qui nous fera baver d'envie et moi plus
modestement un cyclomoteur .
Mais cette balade à Salon , peut-être parce qu'elle
fut unique, brillera à jamais dans nos souvenirs. (la preuve:60
ans plus tard je m'y revois encore)
Le reste du temps le
vélo était au quotidien mon moyen de déplacement
tant pour aller au lycée que pour aller jouer au foot .
Il va me permettre aussi à au cours de l'été
56, d'aller la revoir , elle qui est partie en vacances dans un
petit village à une trentaine de kilomètres de notre
Impasse.
Ce vélo au quotidien ne m'a pas laissé que de bons
souvenirs :un jour que je partais pour aller au lycée j'accrochais
une mémé qui traversait la rue de crimée
sans regarder . Bien entendu c'est moi qui me suis retrouvé
par terre mais la mamie avait laché sa bouteille d'huile
dont un éclat la blessera légèrement à
la jambe. Je n'étais pas assuré car à cette
époque l'assurance n'était pas obligatoire . Alors
mon père a payé la bouteille d'huile ....
Puisque j'ai parlé
de foot, une autre anecdote me revient à l'esprit qui montre
bien,l'inconscience de la jeunesse ; celle d'hier comme celle
d'aujourd'hui. Cela se passe en juin 1955. Le lundi de la Pentecôte.
Avec mon équipe de l"Association Sportive de St-Lazare,
nous participons à un tournoi de sixte à Ste Marthe.
Au cours d'un match, je tombre violemment sur mon poignet droit.
Une grosse boule apparait sur laquelle je tape sèchement.
Elle semble disparaitre . Néanmoins la douleur est telle
que je dois m'asseoir sur le bord du terrain.
Mes copains me proposent ,après le match, de m'accompagner
chez un robouteux qui me masse consciencieusement pour me "remettre
le poignet en place" qu'il disait!
Je ne peux pas tenir le guidon des deux mains mais cela ne m'empêche
nullement de me déplacer en vélo. Le problème
,c'est au moment de freiner . Je dois prendre appui avec ma main
malade pour pouvoir actionner la cocotte de frein. Mais je ne
renonce pas à me déplacer avec ma bécane.
Il en sera ainsi toute la journée.
J"apprendrai le mercredi suivant que le radius et est fracturé
et légèrement déplacé (la fameuse
bosse que j'ai redressée) et le cubitus est aussi fraturé
mais sans déplacement.
Enfin, je pourrais
terminer cette évocation de ma première bicyclette
en parlant de l'aide qu'elle m'a apportée pour aller retrouver
la jolie jeune fille aux cheveux chatains , longs et ondulés
partie en vacances pour deux mois dans un petit village provençal
situé à une trentaine de km de Marseille. Mais
ô que non . Jardin secret .