Mes profs du secondaire
Classe de 6e 2 Année scolaire 1950-1951


De haut en bas et de gauche à droite ...petit jeu de mémoire
Allégrini - Pellegrin - Sanna - Lafont - Formento - Rossignol - Braciotti
-Demirdjian - Daumas - Isacchi - gay - Lupetit - Durand - Merger - Magnani - Annibali
-Lauze - Kaigre - Briant - Inaudi -
Mr Boval - Rose - Guéo - Parodi - Santelli
-Mourgue - Périer (Milanini - Porta - Maresca - Philip

C'est curieux comme la mémoire elle aussi devient , presbyte avec le temps: elle voit très bien au loin et très mal de près. C'est pourquoi l'adulte que je suis , disons même le noble vieillard, a demandé ce soir, au jeune Santelli quel souvenir il lui restait des profs qu'il avait connus au cours de ses 7 ans passés au Collège Victor Hugo.(pardon 8 ans :j'ai redoublé ma seconde ! ).
Bien des noms reviennent à la mémoire : Lydie, Boval, Streiff, Gazagnaire, Gaymard, Jobey, Ducas, Mennes, Fautrier, Brillaud, Leca, Gonnet, Arnaud, Dureau, Sinibaldi,Granier, Recubert, Grivolla, Mazzoni, Sarabezolles, Forneron, Porcher, Granier,Bacot, Jallois, Soubira, Tordjmann, Martin au total :28 professeurs de valeur et d'efficacité très inégale. Et je parle en mettant les matières toutes au même niveau . A mes yeux un bon prof de dessin comme Mr Récubert était très supérieur à certains (que je ne nommerai pas) et m'a donc laissé un très bon souvenir même si j'étais nul ou presque en la matière .
Je ne parlerai pas de tous mais de ceux qui m'ont beaucoup apporté en commençant par la classe de 6e.

En cette première année de collège,, les profs qui m'ont marqué par leur pédagogie sont au nombre de trois : Mr Streiff, le prof d'anglais, Mr Boval, le prof de sciences naturelles et Mr Lydie,le prof de français .

Mr Lydie

C'était un homme au bord de la retraite mais dont la pédagogie n'avait pas une ride et n'en aurait toujours pas une de nos jours .
Tous les samedis matins il nous lisait quelques pages d'un roman pour nous donner l'envie de lire . Le premier de ces livres a été " La guerre du Feu " de Rosny l'ainé, dont l'écoute était bien plus passionnante encore que le film que réalisera plus tard J.J Annot; le second, véritable provocation aux bonnes moeurs de l'époque , c'était "la guerre des boutons" de Louis Pergaud.
Ah! je revois encore le sourire malicieux du professeur et la lueur qui brillait dans ses yeux derrière ses fines lunettes, lorsqu'au gré des pages apparaissaient un "gros mot" ;notamment le fameux "couille molle" qu'on retrouve bien évidemment dans le film drôle et plein de poésie d'Yves Robert .

Tenez je vais essayer de vous emmener avec moi dans sa classe. Elle est située au rez de chaussée d'une école style Jules ferry, annexée par le collège et devenue la cour des 6e et 5e du lycée Victor Hugo ;la cour des"petits". Mr Lydie est assis derrière son bureau posé sur l'estrade en bois bien connue .
Je suis assis à côté de mon ami Francis Sanna, mon copain , un gentil garçon aussi bavard que moi . Et justement lui et moi venons d'écoper d'une punition : un verbe aux 21 temps . Facile un verbe du 1er groupe...! mais qd même 21 temps !! Alors Francis et moi ,en coeur, posons la question rituelle:
- Rachetable?
-Oui
Ouf!! papa et maman y seront encore de 50 centimes pour "racheter "le verbe . Les sommes ainsi récoltées , serviront à acheter de nouveaux livres pour la bibliothèque de la classe. Tout cela était assez révolutionnaire en ces temps-là. Pourtant je n'ai jamais entendu un mot désobligeant ni même étonné . On respectait les profs chez moi . Chez les autres familles aussi .
Mais le rachat financier n'était pas toujours de mise. Souvent il fallait s'atteler à la tâche et rendre une copie propre ,sans faute et dans une forme et un ordre des temps et des modes, très strictement définis, sous peine de se voir condamner à recommencer .
Un jour de grosse colère, la classe stupéfaite et terrorisée a entendu la sentence suivante :
Mr L... vous me ferez le verbe : Malgré les nombreuses remarques du maître, je continue à perturber la classe et le travail de mes camarades par mes continuels bavardages . Aux 21 temps et non rachetable!
En mémoire de ce bon Mr Lydie ,j'ai pratiqué régulièrement la punition des verbes mais on ne les rachetait plus avec de l'argent, mais avec des "dispenses" une sorte de bon point lié à la qualité d'un devoir antérieur à la punition .

Dans cette classe j'étais assis au quatrième bureau de la rangée de gauche, celle près de la fenêtre. Il y faisait plus clair que la rangée de droite un peu assombrie par les platanes de la cour . J'aimais bien cette place . Je pouvais voir à la fois la classe ,le prof bien sûr, sans toutefois être trop en vue. J'avais même une possibilité de jeter un oeil dans la rue Léon Gozlan où passaient les demoiselles du collège Edgard Quinet ...
Oui, j'ai de cette année,le souvenir agréable des cours du samedi matin, ce qui ,entre parenthèses, prouve que si on intéresse un élève la fatigue ne joue pas vraiment dans son attention. C'était un beau moment que ces deux heures (et oui) de français de cette fin de semaine. Outre la lecture des romans cités plus haut, on y composait collectivement des lettres pour une correspondance avec une école du Doubs. J'ai oublié le nom du petit village, mais grâce à eux ,j'ai appris comment était en train de se bâtir à Marseille ,la cité radieuse de Le Corbusier.
A cette époque on disait que ce serait une maison en verre vues ses nombreuses ouvertures. Du haut de mes douze ans je prenais cette description au pied de la lettre jusqu'à ce que Mr Lydie me ramène à la réalité en la décrivant pour nos correspondantts comme "une carcasse de béton aux nombreuses ouvertures vitrées." (je n'ai pas oublié sa définition) ce qu'elle est vraiment:une carcasse de béton.

Enfin, dernier souvenir de ces matinées, le moment de la poésie. Pourquoi est-ce que je me rappelle si bien du beau poème d'Albert Samain: "Le marché" ? Je ne sais pas ; mais plus de 60 ans après , je réentends et je revois même Mylène, sa petite Alidé par la main. parcourir ce marché coloré.
En hommage à la fois au poète et à Mr Lydie je vous le propose ici:

Le marché

Sur la petite place, au lever de l'aurore,
Le marché rit joyeux, bruyant, multicolore,
Pêle-mêle étalant sur ses tréteaux boiteux
Ses fromages, ses fruits, son miel, ses paniers d'oeufs,
Et, sur la dalle où coule une eau toujours nouvelle,
Ses poissons d'argent clair, qu'une âpre odeur révèle.
Mylène, sa petite Alidé par la main,
Dans la foule se fraie avec peine un chemin,
S'attarde à chaque étal, va, vient, revient, s'arrête,
Aux appels trop pressants parfois tourne la tête,
Soupèse quelque fruit, marchande les primeurs
Ou s'éloigne au milieu d'insolentes clameurs.
L'enfant la suit, heureuse ; elle adore la foule,
Les cris, les grognements, le vent frais, l'eau qui coule,
L'auberge au seuil bruyant, les petits ânes gris,
Et le pavé jonché partout de verts débris.
Mylène a fait son choix de fruits et de légumes ;
Elle ajoute un canard vivant aux belles plumes !
Alidé bat des mains, quand, pour la contenter,
La mère donne enfin son panier à porter.
La charge fait plier son bras, mais déjà fière,
L'enfant part sans rien dire et se cambre en arrière,
Pendant que le canard, discordant prisonnier,
Crie et passe un bec jaune aux treilles du panier.

Albert Samain (1858-1900)

Prof suivant : Mr Streiff

 

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