C'est
curieux comme la mémoire elle aussi devient , presbyte
avec le temps: elle voit très bien au loin et très
mal de près. C'est pourquoi l'adulte que je suis , disons
même le noble vieillard, a demandé ce soir, au jeune
Santelli quel souvenir il lui restait des profs qu'il avait connus
au cours de ses 7 ans passés au Collège Victor Hugo.(pardon
8 ans :j'ai redoublé ma seconde ! ).
Bien des noms reviennent à la mémoire : Lydie, Boval,
Streiff, Gazagnaire, Gaymard, Jobey, Ducas, Mennes, Fautrier,
Brillaud, Leca, Gonnet, Arnaud, Dureau, Sinibaldi,Granier, Recubert,
Grivolla, Mazzoni, Sarabezolles, Forneron, Porcher, Granier,Bacot,
Jallois, Soubira, Tordjmann, Martin au total :28 professeurs de
valeur et d'efficacité très inégale. Et je
parle en mettant les matières toutes au même niveau
. A mes yeux un bon prof de dessin comme Mr Récubert était
très supérieur à certains (que je ne nommerai
pas) et m'a donc laissé un très bon souvenir même
si j'étais nul ou presque en la matière .
Je ne parlerai pas de tous mais de ceux qui m'ont beaucoup apporté
en commençant par la classe de 6e.
En cette première année de collège,, les profs qui m'ont marqué par leur pédagogie sont au nombre de trois : Mr Streiff, le prof d'anglais, Mr Boval, le prof de sciences naturelles et Mr Lydie,le prof de français .
C'était un homme
au bord de la retraite mais dont la pédagogie n'avait pas
une ride et n'en aurait toujours pas une de nos jours .
Tous les samedis matins il nous lisait quelques pages d'un roman
pour nous donner l'envie de lire . Le premier de ces livres a
été " La guerre du Feu " de Rosny l'ainé,
dont l'écoute était bien plus passionnante encore
que le film que réalisera plus tard J.J Annot; le second,
véritable provocation aux bonnes moeurs de l'époque
, c'était "la guerre des boutons" de Louis Pergaud.
Ah! je revois encore le sourire malicieux du professeur et la
lueur qui brillait dans ses yeux derrière ses fines lunettes,
lorsqu'au gré des pages apparaissaient un "gros mot"
;notamment le fameux "couille molle" qu'on retrouve
bien évidemment dans le film drôle et plein de poésie
d'Yves Robert .
Tenez je vais essayer
de vous emmener avec moi dans sa classe. Elle est située
au rez de chaussée d'une école style Jules ferry,
annexée par le collège et devenue la cour des 6e
et 5e du lycée Victor Hugo ;la cour des"petits".
Mr Lydie est assis derrière son bureau posé sur
l'estrade en bois bien connue .
Je suis assis à côté de mon ami Francis Sanna,
mon copain , un gentil garçon aussi bavard que moi . Et
justement lui et moi venons d'écoper d'une punition : un
verbe aux 21 temps . Facile un verbe du 1er groupe...! mais qd
même 21 temps !! Alors Francis et moi ,en coeur, posons
la question rituelle:
- Rachetable?
-Oui
Ouf!! papa et maman y seront encore de 50 centimes pour "racheter
"le verbe . Les sommes ainsi récoltées , serviront
à acheter de nouveaux livres pour la bibliothèque
de la classe. Tout cela était assez révolutionnaire
en ces temps-là. Pourtant je n'ai jamais entendu un mot
désobligeant ni même étonné . On respectait
les profs chez moi . Chez les autres familles aussi .
Mais le rachat financier n'était pas toujours de mise.
Souvent il fallait s'atteler à la tâche et rendre
une copie propre ,sans faute et dans une forme et un ordre des
temps et des modes, très strictement définis, sous
peine de se voir condamner à recommencer .
Un jour de grosse colère, la classe stupéfaite et
terrorisée a entendu la sentence suivante :
Mr L... vous me ferez le verbe : Malgré les nombreuses
remarques du maître, je continue à perturber la classe
et le travail de mes camarades par mes continuels bavardages .
Aux 21 temps et non rachetable!
En mémoire de ce bon Mr Lydie ,j'ai pratiqué régulièrement
la punition des verbes mais on ne les rachetait plus avec de l'argent,
mais avec des "dispenses" une sorte de bon point lié
à la qualité d'un devoir antérieur à
la punition .
Dans cette classe j'étais
assis au quatrième bureau de la rangée de gauche,
celle près de la fenêtre. Il y faisait plus clair
que la rangée de droite un peu assombrie par les platanes
de la cour . J'aimais bien cette place . Je pouvais voir à
la fois la classe ,le prof bien sûr, sans toutefois être
trop en vue. J'avais même une possibilité de jeter
un oeil dans la rue Léon Gozlan où passaient les
demoiselles du collège Edgard Quinet ...
Oui, j'ai de cette année,le souvenir agréable des
cours du samedi matin, ce qui ,entre parenthèses, prouve
que si on intéresse un élève la fatigue ne
joue pas vraiment dans son attention. C'était un beau moment
que ces deux heures (et oui) de français de cette fin de
semaine. Outre la lecture des romans cités plus haut, on
y composait collectivement des lettres pour une correspondance
avec une école du Doubs. J'ai oublié le nom du petit
village, mais grâce à eux ,j'ai appris comment était
en train de se bâtir à Marseille ,la cité
radieuse de Le Corbusier.
A cette époque on disait que ce serait une maison en verre
vues ses nombreuses ouvertures. Du haut de mes douze ans je prenais
cette description au pied de la lettre jusqu'à ce que Mr
Lydie me ramène à la réalité en la
décrivant pour nos correspondantts comme "une carcasse
de béton aux nombreuses ouvertures vitrées."
(je n'ai pas oublié sa définition) ce qu'elle est
vraiment:une carcasse de béton.
Enfin, dernier souvenir
de ces matinées, le moment de la poésie. Pourquoi
est-ce que je me rappelle si bien du beau poème d'Albert
Samain: "Le marché" ? Je ne sais pas ; mais plus
de 60 ans après , je réentends et je revois même
Mylène, sa petite Alidé par la main. parcourir ce
marché coloré.
En hommage à la fois au poète et à Mr Lydie
je vous le propose ici: