La libération était encore toute proche.Les adultes commençaient à peine à sortir la tête de l'eau. Les derniers tickets de rationnement alimentaire venaient d'être supprimés. La crise de Berlin de 1949 avait fait resurgir le spectre d'une autre guerre mais la menace s'était éloignée. La décennie qui commençait, semblait annoncer des temps meilleurs et l'enthousisame de toute la population le démontrait. Dans l'impasse
nous étions un groupe de jeunes entre 12 et 16 ans. Paul,Gaby,
Noël,Michel, Aimé, Fernand, René et quelques
autres côté garçons et les deux Jeannette(Quoyer
et Guarnieri) Marie, Marcelle, Ginette, Lucie, Christiane,Renée,
Emma pour citer les principales filles . Les 14 juillet étaient
marqués par une multitude de bals de quartier pour fêter
la libération. Un seul agent de police suffisait à
maintenir l'ordre ou à le ramener si une bagarre éclatait
entre adolescents (comme on ne disait pas encore ) En premier lieu et en dehors de toute légalité, bien évidemment, nous nous étions procuré du ruban tricolore très en vogue depuis la libération. Découpé en petits morceaux ils étaient présentés épinglés sur de petits coussins, et proposés aux passants du quartier par les filles. Les dons étaient recueillis dans une boîte de fer blanc entourée d'un papier tricolore . Pour compléter notre quête, le reste de la bande passait de maison en maison, étage par étage , porte à porte. -Bonjour! Vous donnez quelque chose pour le 14 juillet? Rares, très rares étaient les réponses négatives.Personnellement, je me souviens d'avoir visité le 22 et d'avoir reçu des dons à tous les étages. Il a fallu ensuite répartir les sommes pour savoir à quoi les destiner : Achat pour la buvette, pour les guirlandes, les fusées du feu d'artifice, bref un vrai travail auquel , nous les plus petits ne participions pas. La charge en incombait à ceux qui, déjà apprentis, savaient ce que "argent" voulait dire. Outre les boissons, les principales dépenses étaient destinées au feu d'artifice. Les objets pyrotechniques ont toujours coûté cher. Que ce soit des feux de bengale aux couleurs vives, des "bombes chinoises" au bruit assourdissant ou les soleils aux effets saisissants, tous coûtaient de l'argent. Même les petits pétards qu'on appelait "fusée" . Mais on tenait à ce feu d'artifice. Une estrade bricolée avec des tables et des planches tenait lieu de scène. Appuyé au miur de la maison de Me Tyran, elle permettait à la famille Ivanes de sortir son tourne disque sur le quel les bon vieux 78 tours s'en donnaient à coeur joie pour diffuser polka, java, valse pasodoble ou quelques premiers ryhtmes latinos :sambas, ou rumbas. Rock round the clock n'était pas encore sorti. Il faudrait attendre 5 ans . Le soir venu, les familles étaient installées devant le pas de leur porte; Chacun sa chaise et pendant que les uns dansaient les autres palabraient sans fin commentaient le spectacle de cette jeunesse heureuse de vivre. Tandis que nous les "caganis" nous chahutions bruyamment en faisant exploser nos "fusées".Je ne me souviens plus jusqu'à quelle heure dura la fête.Près de minuit je pense. On était encore dans l'habitude des heures de vie diurne comme l'est l'animal humain. Pas de before ni d'after. Pas de fête commençant à la minuit pour finir à l'aurore dans un abrutissemnt complet de bruits et de boissons voire de "stimulants". Nous étions en famille; nous avions réalisé nous même une grande fête...comme des grands. Nous étions heureux et sans grand souci. Ce fut un grand soir, une grande réussite, dont nous étions tous très fiers. Même si un petit incident vint perturber le déroulement de la fête. Mon ami Aimé, à un moment donné plaça une fusée sur le rebord d'un mur de la maison voisine de la mienne:le 20.Comme elle tardait à exploser nous nous sommes approchés tous les deux. C'est alors que l'engin a décidé de faire ce pourquoi il avait été conçu: du bruit et du feu. Malheureusement, il atterrit sur mon bras . Je le frottai en criant pour enlever le carton enflammé et ce faisant je contribuai à arracher une peu plus la peau brulée. Tenant mon bras je le montrai à ma mère qui ne trouva rien de mieux pour calmer les choses que de se mettre à hurler:'Pierre ! Pierre! (mon père) le petit s'est brûlé"! Un attroupement se forma aussitôt persuadé de me voir bon pour l'hôpital. Un petit pansement ramena les choses à leur juste proportion, mais cette "blessure" me valut un temps le doux appitoiement de la gente féminine qu'à cette âge là je ne connaissais que très mal mais que je trouvais si doux à cotoyer. Je ne savais pas ce qui m'attendait! Cinquante six ans ont passé à l'heure où j'écris ces lignes. Bien des acteurs de ce soir mémorable sont partis au pays du grand repos.Mais dans ma mémoire, l'enthousiasme de cette fête est resté intact. Il suffit que je ferme les yeux et je les revois tous: enfants, ados,adultes,parents .Je revois le décors et j'entends les musiques. De l'autre côté du temps tout cela est devenu inaltérable à jamais
Allauch août 2006
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