Ma route ce jour là,
m'a conduit sur la Place Castellane. Au coin de la rue de Rome
se trouve encore une agence de la Caisse d'épargne qui
fut longtemps chère à mon coeur d'enfant . Elle
a abrité juste au dessus à l'entresol une famille
qui était hébergée et qui en était
les gardiens de nuit ou quelque chose comme ça. Dans la
foulée de mes 13 ans je ne me posais pas tant de questions.
Pour moi elle était surtout devenue la résidence
d'une fillette de 12 ans dont le déménagement m'avait
grandement déçu quelques mois auparavant alors qu'elle
demeurait dans la fameuse rue Monte au ciel.
Ce dont je me souviens aujourd'hui, c'est cette sensation de liberté
que je ressentais à cette époque .Parti à
pied de chez moi, ,il me fallait un bon quart d'heure pour arriver
à la gare sur l'esplanade de laquelle se trouvait le terminus
du trolley 67. Trois tickets donnés au receveur et me voilà
en route pour le terminus à la Place Castellane. Je retrouvais
là un copain de colo et tous les deux nous allions passer
une heure ou deux avec un moniteur de cette même colo qui
officiait à l'oeuvre Timon David du Prado.
Ces visites ne m'ont
jamais permis d'apercevoir la petite demoiselle;mais la seule
idée de savoir qu'elle habitait là suffisait à
colorer agréablement mon après midi. Imagine-t-on
cela de nos jours? un élève de 5e qui traverse la
ville pour passer un après midi avec son moniteur de colo!
Que ne penserait-on pas ???
Et pourtant mon copain Gégène et moi n'avions que
le plaisir de revoir ce jeune homme qui nous avait appris des
tas de choses en colonie et nous fasait encore en découvrir
d'autres, ne serait- c que cette liberté d'aller et venir
en ville/.
Ma liberté ,
c'était aussi mon samedi après midi. Et je revois
comme si c'était hier, la première fois où
j'ai pu disposer de cet après midi alors que mes copains
qui étaient restés à l'école primaire,
demeuraient enfermés dans leur classe. En ces temps "moyennageux"
les enfants allaient à l'école cinq jours entiers
à l'école. Lundi, mardi,mercredi ,vendredi et samedi
toute la journée.(il faudra attendre 1969 pour que le samedi
après midi soit libéré et 1972 pour que le
mercredi prenne la place du jeudi .) Et pourtant nous n'étions
jamais fatigués,malgré ou à cause de l'absence
de chronobiologistes, de psy, de ceci ou de cela...
Le jeudi était alors , jour de repos scolaire, et réservé
pour le catéchisme ou les rares activités sportives.
Les MPT n'existaient pas encore et les patronages ,heureusement,
ne manquaient pas de prêtres pour occuper , distraire et
éduquer une jeunesse qui ne disposait pas de tous les appareils
électroniques actuels mais pouvait partager jeux et amitié
avec des "vrais" amis et non des personnages fictifs.
Je venais de rentrer en 6e au collège Victor Hugo. D'un
seul coup j'étais rentré dans le domaine des "grands".
Je veux dire des adolescents. Nous étions peu nombreux
à profiter de cette promotion avant 14 ans . Sur les 33
élèves de ma classe de primaire, 6 seulement avaient
postulé et 3 avaient réussi le concours.
Donc ce premier samedi
de la rentrée, probablement un 6 octobre si j'en crois
mon calendrier perpétuel (la rentrée avait lieu
le 1er octobre en ces temps bénis pour les écoliers)
me voilà parti pour aller au cinéma TOUT SEUL .
Je vais au Gyptis voir un film de guerre: Okinawa avec Richard
Widmark. Je me revois encore ,marchant dans la rue Loubon , un
peu ivre de liberté et d'indépendance . J'ai acheté
un paquet de bonbons à la violette. Je revois encore leur
forme:des pastilles rectangulaires, leur couleur :beige foncé,
et je sais leur goût:la violette. Je revois même quelques
images de ce film relatant la prise de l'ile d'Okinawa par les
américains en 45.
J'avais 12 ans et des poussières. Je me revois en direction
du Gyptis. Je remonte la rue Loubon sur le trottoir de droite.
Quelques années plus tard (six) je remonterai toujours la même rue ,mais sur le trottoir de gauche. Ma main ne tiendra pas un paquet de pastilles à la violette mais la main d'une jeune et jolie demoiselle...Mémoire quand tu nous tiens et nous joue des tours comme ça.