Histoires d'eau.


FONTES AMICOS UXOREM DILEXIT

 


En bas de la photo dans le coin droit la fameuse fontaine

Les souvenirs que je vais évoquer pourraient s'inspirer de cette citation de Virgile que Marcel Pagnol a voulu voir gravée sur sa tombe au petit cimetière de La Treille. Il a aimé , les fontaines, les amis et une femme.
Ils sont revenus à ma mémoire voici quelques jours. Alors que ,pour causes de chaleur et d'urgence, je me suis retrouvé en train de boire dans ma main, l'eau coulant d'un robinet . Ce simple geste m'a replongé encore une fois dans un passé lumineux , éclairé par la jeunesse bien sûr mais aussi par autre chose difficile à définir. Quelque chose qui faisait qu'un petit rien créait une ambiance de bien être ,de sérénité.Alors osons même le mot : nous étions heureux avec trois fois rien .
Le souvenir dont je parle est celui de l'eau à l'impasse Junot. On peut bien le préciser ainsi car deux "sources " faisaient la joie des enfants et parfois le bonheur de s grands .A tout le moins le soulagement dans les tâches domestiques.
               La première source était "la Fontaine" . Une fontaine en fonte installée par la ville de Marseille et qui était alimentée par l'eau du "canal". Entendez par là par l'eau apportée à Marseille par le canal de la Durance d'abord, puis du Verdon ensuite . Au moment de son installation tout le monde n'avait pas forcément l'eau courante , pas plus que la gaz ou l'électricité. (La preuve :les plaques enore visibles de nos jours :"Gaz et electricité à tous les étages" (ce qui sous entendait que tous les immeubles ou certains appartements ne les avaient pas )

          En principe cette fontaine ne devait délivrer son eau qu'après le maniement d'un levier situé à l'arrière , censé actionner une pompe.Mais tombé en panne depuis longtemps , il n'avait jamais été réparé et la Fontaine distribuait généreusement et gratuitement une quantité d'eau illimitée. Belle époque!
Le revers de la chose était que cette eau n'était ni filtrée ni traitée chimiquement . Elle était donc pourvoyeuse de pas mal de bactéries et notamment ,de celle qui donnait une maladie terrible :la fièvre typhoïde . Aussi , nos parents , nous interdisaient-ils de nous y désaltérer. Interdiction bien évidemment enfreinte régulièrement ..
Comment ,lorsqu'on a 8 ou 10 ans , qu'on est assoiffé autant que captivé par nos jeux , aurait-on pu perdre du temps à aller boire chez nous ? Pendant des années donc ,mes copains et moi nous nous sommes abreuvés à cette fontaine,en ayant tous la chance de ne jamais être contaminés.
      Une deuxième utilité de cette fontaine permanente, était l'arrosage . Accroupis, les coudes prenant appuis sur les genoux, on plaçait nos deux mains sur la sortie de l'eau comme pour colmater une fuite . La pression de l'eau ,plus forte que nous, bien entendu, passait outre à cet obstacle mais changeait de direction. Et ainsi ,on provoquait un jet qui allait plus ou moins loin. Certains virtuoses, parvenaient même à utiliser ce jet comme s'ils avaient eu en main un tuyau d'arrosage.
Accessoirement, en 1956, lors du terrible hiver qui a vu la plupart des maisons privées d'eau car les tuyaux de plomb n'avaient pas résisté au gel, "la Fontaine " a été la bénédiction du quartier . Certains venant de loin avec divers récipients pour s'approvisionner à cette généreuse donatrice .
Je me souviens en particulier d'une mémé, un peu folle. Elle venait régulièrement se laver les mains, alors que la température était largement au dessous de zéro. Elle restait là, des minutes entières ,en maugréant des mots inintelligibles et en se frottant les mains sous le jet glacial de la fontaine jamais endormie.

La deuxième source était plus épisodique. C'était la prise d'eau du canal à l'extrémité de l'impasse. Elle ne fonctionnait qu'en deux occasions .
La première,tout bêtement quand le cantonnier oubliait de la refermer , et la deuxième lorsque l'été la chaleur devenant trop étouffante, un papa ouvrait illégalement la prise pour que les gamins puissent se rafraichir . Et oui, pas de piscine , ni privée ni publique. Pas de voitures pour aller à la mer , et pas toujours le temps de libre pour prendre le tram. La plage était si loin!
Alors , chacun son tour ,en maillot de bain ou en culotte courte, le torse nu,, on faisait avec le pied, ce que l'on faisait avec les mains à la fontaine . Le jet montait plus haut retombait en pluie fine sur des enfants heureux de se faire asperger , et qui couraient, sautaient, hurlaient leur joie sous cette douche bienfaitrice .

Voilà, c'était ainsi à l'impasse entre 1945 et 1955. Notre enfance a baigné ,c'est le cas de le dire, dans une ambiance d'enfants de rue. Mais ici, "la rue" était notre fief et nous y étions seigneurs et maîtres de haute noblesse.
C'est pour cela que ce passé est encore si lumineux . Il éclaire et éclairera toujours nos pauvres cervelles comme un grand soleil de Provence

Jean Santelli (4 octobre2011)

 

 

 

      

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