Mon enfance passa... (Jacques Brel)

 

  Mon enfance passa
De grisailles en silences
De fausses révérences
En manque de batailles
L`hiver j`étais au ventre
De la grande maison
Qui avait jeté l`ancre
Au nord parmi les joncs
L`été à moitié nu
Mais tout à fait modeste
Je devenais indien
Pourtant déjà certain
Que mes oncles repus
M`avaient volé le Far West

 Mon enfance passa
Les femmes aux cuisines
Où je rêvais de Chine
Vieillissaient en repas
Les hommes au fromage
S`enveloppaient de tabac
Flamands taiseux et sages
Et ne me savaient pas
Moi qui toutes les nuits
Agenouillé pour rien
Arpégeais mon chagrin
Au pied du trop grand lit
Je voulais prendre un train
Que je n`ai jamais pris

Mon enfance passa
De servante en servante
Je m`étonnais déjà
Qu`elles ne fussent point plantes
Je m`étonnais encore
De ces ronds de famille
Flânant de mort en mort
Et que le deuil habille
Je m`étonnais surtout
D`être de ce troupeau
Qui m`apprenait à pleurer
Que je connaissais trop
J`avais L`œil du berger
Mais le cœur de l`agneau  
     

 Mon enfance éclata
Ce fut l`adolescence
Et le mur du silence
Un matin se brisa
Ce fut la première fleur
Et la première fille
La première gentille
Et la première peur
Je volais je le jure
Je jure que je volais
Mon cœur ouvrait les bras
Je n`étais plus barbare
Et la guerre arriva ....
Et nous voilà....ce soir.

 

La douceur de ce mois de mai, le calme de mes collines, la caresse du vent à l'ombre d'un olivier me donnent à penser à cet autre moment de ma vie à l'Impasse. Celui, où brusquement on a basculé dans un autre monde. le monde de l'enfance s'est effacé et celui de l'adolescence est apparu. Lui même...mais laissons ça ,c'est une autre histoire

On était rentré à l'école cette année là comme toutes les années , On avait vu venir l'automne puis l'hiver sans surprise. un peu comme si cela allait durer toujours . Mais au sortir de la mauvaise saison j'ai commencé à me rendre compte que les copains avec qui auparavant on jouait aux cow-boys , ou à niche, étaient bien sympa, mais quand même, leur compagnie ne me faisait pas le même effet que de jouer ou simplement bavarder avec les filles.

Ainsi j'étais étonné ,mais je n'étais pas le seul, à la vue des nouveaux habits de ces demoiselles. Les comptines utilisaient de plus en plus le verbe aimer .
"Dis moi oui, dis moi non dis moi si tu l'aimes
Dis moi oui, dis moi non dis moi oui ou non
Si c'est oui c'est de l'espérance,
Si c'est non c'est de la souffrance
Dis moi oui, dis moi non dis moi oui ou non

Comptine naïve s'il en est que les petites filles chantaient avec des sourires entendus et moqueurs. Chacune sachant bien à quel petit garçon elle pensait.
Un jour grande fut ma surprise lorsqu'une de mes voisines qui venait d'être appelée chez elle par une autre demoiselle (pardon de ne pas citer les noms ) se présenta à nous les bras croisés sur sa poitrine.
Son corsage en tricot risquait (pensait-elle) de laisser voir les petites prunes que la nature était en train de faire naître..
Oui grande fut ma surprise. tant d'histoires pour si peu .... Mais je n'étais qu'au début de mes étonnements et surtout de mes tourments . Dans le même temps mes onze ans m'avaient ouvert une certaine autonomie. Je n'étais plus obligé de rester dans l'impasse . Je pouvais aller ici ou là tout seul : l'entrée en 6e était passée par là.
Et ce fut ma première découverte. Elle s'appelait Paule , habitait au restaurant des routiers du bd national. Comme moi elle venait s'amuser à regarder passer les trains sur la voie ferrée.
Quand on y pense.... elle 9 ans, moi 11, on était là, assis tous les deux sur l'herbe à côté du ballast ,attendant que le signal nous avertisse de l'arrivée d'une machine. On s'allongeait alors dans les herbes et on se faisait peur en restant si près du monstre .
Oui, j'étais bien avec elle. Je n'avais pas envie de voir arriver mes copains qui parfois venaient eux aussi en ballade sur la voie . Ces bavardages bien innocents mais très émouvants pour moi, donnaient lieu parfois à des plaisanteries de la part de mes amis. Mais au lieu de me fâcher, cela au contraire me flattait. Je me sentais entré dans la cour des grands.
Un matin Paule est partie pour Dakar. Je n'ai plus rien su d'elle. Simplement elle avait été la couverture du livre que tout le monde écrit un jour ou l'autre . Celui de la naissance des sentiments amoureux.
Dans le même ordre d'idée je savais qu'une de ces demoiselles avait été touchée par les oeillades de l'enfant de Choeur qui officiait à la messe de 10 heures. Et là, petit pincement au coeur. C'est quoi ce sentiment nouveau ? Ce sentiment curieux qui vous fait souhaiter envers un individu les pires catastrophes ! J'ai vite appris le nom de la bête: jalousie. Et ça ne faisait que commencer, mais ça je ne le savais pas.
Il était temps de passer au stade supérieur. Sans le chercher , sans le savoir, un peu comme on avance dans un labyrinthe. C'est ainsi qu'un été,, en revenant de la colo annuelle, mon ami M. me dit avec un souffle de fierté qui faisait gonfler un peu plus sa poitrine : "G. c'est ma gonzesse!" (Pardon pour la vulgarité de l'expression mais ce fut le terme exact employé.) Coup de tonnerre ! Stupeur et jalousie encore !... je l'avais repérée moi aussi cette petite ... j'en avais un peu rêvé aussi. Les prunes avaient grossi. Et tout le monde sait bien que :
Sous un léger corsage, qui fait des plis
Deux petits seins bien sages comme c'est joli. (Clémentine- Yves Montand)
Mais bon à cet âge le coeur se pose où l'oeil se pose ... je me consolais donc très très vite. Mais j'avais senti que le destin avait basculé. On ne jouerait plus à la marelle, on ne ferait plus de comptines, la guerre était déclarée: le malheur et le bonheur ces deux faux-frères, allaient être à l'affut de nos vies. Et à mesure que le temps passerait leur poids serait de plus en plus lourd.
Mon enfance éclata! Ce fut l'adolescence... Chacun a pris sa route vers l'amour . Chacun chacune à sa manière . Certains en jouant la carte de la séduction, d'autres la carte de la fidélité. Certains la carte de l'égoïsme, d'autres la carte de l'idéalisme, de l'espoir, de la grande illusion (qui fait croire qu'il suffit d'aimer pour être aimé! Hélas...).
Il n'y a pas de bonnes cartes ou de mauvaises cartes. A la fin il n'y a que le temps qui gagne., car il emporte avec lui les rires, les espoirs, les illusions et aussi , heureusement , les peines, même les immenses.


J.S


 

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