Nous
sommes fin 44 ou début 45, je ne me souviens pas très
bien et on me le pardonnera :j'avais juste 6 ans ou 6 ans et
demi. Marseille a été libérée au
mois d'août 44. Mes parents ,qui avaient loué une
petite maison à Cabries ,après le bombardement
du 27 mai, avaient réintégré leur domicile
du 18 impasse Junot.
La rue portait encore les traces des destructions. Et notamment
,au niveau du N° 13, un grand tas de décombres montait
au ras des fenêtres du rez de chaussée. Pour les
enfants de mon âge ,et même pour les "un peu
plus vieux" c'était juste un lieu de jeux. Monter,
descendre, se cacher, ce tas servait à tout ça.
Plus haut, le N° 19 était
encore debout. Il était mitoyen de l'immeuble où
étaient tombées une ou plusieurs bombes. Cet immeuble
là, donc le 21, était complètement détruit.
Il devait rester pour toujours un terrain vague que nous appellerons
plus tard "les décombres": lieu de jeux sans
fin et de constructions de cabanes.
Ce N° 19 était composé
de deux parties: une en façade donnant sur l'impasse et
une autre en arrière plan donnant chemin de la villette.
L'ensemble avait été ébranlé par
les bombes mais de façons différentes.la partie
donnant sur le chemin de la Vilette était toujours habitée.
Elle avait moins souffert que la partie donnant sur l'impasse
qui était devenue inhabitable sur ses trois niveaux. Cette
partie sera démolie en 1945 ou 46 je ne sais plus très
bien.
De nos jours on peut encore voir la partie arrière de
l'ensemble.Elle est toujours habitée.

A gauche,
la végétation a recouvert les ruines du 19 et "les
décombres".
Donc enfants nous allions à la découverte de ces
lieux abandonnés. J'ai déjà raconté
comment, après le bombardement du 27 mai, et même
longtemps après , nous cherchions des pierres tachées
de sang pour nous faire peur.
Ce jour là, je pénétrais au rez de chaussée
avec je ne me souviens plus qui, mais sûrement pas tout
seul. Et là au milieu d'une pièce vide une mitrailleuse
était abandonnée . Probablement par un soldat allemand
déserteur. Bien entendu,pour les enfants inconscients
du danger que nous étions, nous avions là un magnifique
jouet "en vrai". Nous l'avons donc touchée,
déplacée, joué avec ... jusqu'à ce
qu'elle disparaisse ,récupérée par les autorités
ou par un collectionneur de "petits" souvenirs de guerre
comme il y en a eu beaucoup.
Dans
la foulée, nous avons trouvé une cartouche de gros
calibre . Je la revois encore. Elle ressemblait à un gros
cigare . (A cette époque nous n'avions pas idée
de sa dimension). Ce que nous savions c'est que cela pouvait
faire du bruit et faire mal.Une sorte de gros pétard ,"pour
de vrai" encore, Un adolescent du quartier Robert, dit "le
rouge" ou "le rouquin", étant donné
la couleur de ses cheveux, s'en est emparé et "pour
voir" l'a jetée dans un petit feu qu'il avait allumé.
Puis nous nous sommes cachés derrière le fameux
tas dont je parlais plus haut.
Evidemment ,l'explosion n'a pas tardé et la balle est
allée se ficher dans un mur au moment où Me S...
arrivait. Furieuse,et on la comprend, car elle avait entendu
siffler la balle non loin de ses oreilles, elle menaçait
de gifler le garçon qui devait avoir 14 ou 15 ans . Celui-ci
la menaçait avec un morceau de bois si elle le touchait.
Je les revois tous les deux, face à face, se défiant
du regard et de la parole.
J'entends encore le dialogue:
-
Tu veux goûter de ça disait-elle en montrant sa
main ouverte
-Et
vous, vous voulez goûter de ça? répondait-il
en montrant le morceau de bois. A cette époque aussi,
les gens s'aimaient bien!!! .
La chose se passait juste entre le N° 18 et 20.
A l'endroit même où un jour une maman, me dira "
Jean tu es le premier, J'aimerais que tu sois aussi le dernier".
Le premier et le dernier de quoi, ça c'est MON histoire.
Mais je viens juste de penser que ces deux évènements
se sont passés au même endroit d'une toute petite
rue, témoin de plein d'histoires de la vie des uns et
des autres. Chacun les gardant parfois au fond de leur mémoire
pour les remettre au jour de temps en temps . Au royaume des
souvenirs, les couleurs, les bruits, les émotions continuent
d'exister. Ce qui a existé , EXISTE encore si l'on s'en
souvient.
Oui! si l'on s'en souvient, il suffit de fermer les yeux pour
sortir du présent et retrouver le monde de cette époque
tel qu'il était. La seule différence avec le réel
c'est qu'on connait la suite, la fin de l'histoire . Et là,
bien souvent, on perd ce que la jeunesse nous donnait : l'espoir.
Mais ceci c'est encore une autre histoire .
(L'arme trouvée au N° 19 vait à
peu près cette forme)
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