C'était un petit kiosque...

        Dernièrement l'occasion m'a été donnée de me promener sans autre but que de profiter de quelques moments de liberté. Pouvoir déambuler dans les rues sans souci, sans penser à rien si ce n'est de regarder autour de soi juste pour le plaisir d'observer la vie qui passe.
Et ainsi l'esprit disponible, j'ai soudain eu une drôle de sensation. Une odeur que je qualifierai d'une odeur en couleur est venu titiller ma mémoire et fait remonter au grand jour de vieux souvenirs.
Des souvenirs agréables d'un passé révolu : celui des années où, plus tout à fait petit enfant mais pas encore adolescent je pouvais commencer à savourer une certaine autonomie tout en gardant au coeur la naïveté de ma prime enfance .
C'était l'époque où je pouvais , aller tout seul, sans parent , retrouver mes héros :Big Bill le casseur, Red Rider, Fantax, La Chauve souris (on ne disait pas encore batman,) et bien d'autres .Les nommer tous serait fastidieux ,

Tous ces héros m'attendaient dans mes journaux : l'Intrépide, Vaillant, Coeur vaillant, Les 3 mousquetaires du maquis....et j'en passe.
Et toutes ces B.D se trouvaient dans un petit kiosque à journaux situé au coin des rues Mathhieu Stilatti et Hoche dans le quartier de St-Lazare.

C'était une petite guérite hexagonale en bois, de couleur bleu ciel . Sa taille était bien loin des monstres actuels. Elle devait mesurer 1.5m aux endroits les plus larges, sa position au coin de la rue posait bien des problèmes les jours de mistral. Ce kiosque était tenu par les demoiselles Paulette et Joséphine Gainlet.
La "journaliste" (aussi bien l'une que l'autre)comme on l'appelait chez moi, (puisqu'elle vendait des journaux) y pénétrait à grand peine par une petite porte située à l'arrière . Une fois assise elle ne pouvait pratiquement plus bouger. Et c'est dans cette position qu'en se retounant elle partait à la recherche du journal ou du magazine demandé.
Parfois la chance (et la demande de la clientèle) faisait que ce que l'on recherchait se trouvait affiché à l'extérieur ,tenu par des épingles à linge. On pouvait alors se servir soi-même.
Je me revois dans les deux cas venir chercher un journal ou un autre.

-Bonjour , vous avez la "semaine radiophonique" ? (La télé n'existant pas encore sur Marseille, on se contentait des programmes radio)
-Oui voilà, et en se retournant Paulette ou Joséphine Gainlet fouillait dans les piles de magazines et en tirait l'objet demandé.
- Merci. Et je repartais sans payer, puisque nous étions en compte . Ma mère payait à la quinzaine. L'abonnement au journal, la semaine radiophonique et mes illustrés.

Ou encore je me revois partir en courant de chez moi, courir encore dans la rue Junot puis la rue Hoche pour aller voir si l'Intrépide " était arrivé. Dès la sortie de mon couloir j'étais sur mon cheval et l'aventure commençait . J'avais rendez-vous avec Tarzan ou Kansas kid.

L'odeur de ce kiosque m'est revenu l'autre matin lors de ma balade : cette odeur de papier imprimé, odeur indéfinissable . mais à quoi bon la définir . Pour moi c'était l'odeur de l'aventure où se plongeait mes dix ans.

C'était aussi l'odeur d'un certain art de vivre. Tout n'était pas rose en ces temps, mais les choses étaient établies dns un ordre qui résultait de l'expérience, de la pratique. Ainsi ces deux demoiselles faisaient partie de mon univers. Leur kiosque était un peu comme dans le film Mary Poppins. C'était une sorte de fenêtre ouverte sur les aventures les plus extraordinaires.

En même temps elles appartenaient au décors de ma vie. On peut aussi comparer tous ces acteurs comme les musiciens d'un grand orchestre où chacun jouait sa partition en harmonie avec les autres musiciens.

Tout le monde connaissait les soeurs Gainlet et elles connaissaient tout le monde. Encore aujourd'hui, je les revois dans ma mémoire, rentrer à la maison d'un pas lent et régulier à l'image de leur vie. Elles portaient toujours un grand sac avec je suppose des invendus . Peut-être préparaient-elles une provision de lecture qui leur sert à tuer le temps maintenant qu'elles sont passées à jamais dans l'autre image .
Qui peut savoir ?

 


pardon pour la mauvaise qualité du croquis, mais je n'ai jamais su très bien dessiner.

 

Jean Santelli

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